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MON AVENTURE EN MER

nait tranquille, Israël Hands se tourna à demi, et avec un gémissement sourd et en se tortillant, reprit la position dans laquelle je l’avais vu d’abord. Son gémissement, qui décelait une douleur et une faiblesse extrêmes, et la vue de sa mâchoire pendante, émurent ma compassion. Mais en me remémorant les propos que j’avais ouïs, caché dans ma barrique de pommes, toute pitié m’abandonna.

Je m’avançai jusqu’au grand mât.

— Embarquez, maître Hands, dis-je ironiquement.

Il roula vers moi des yeux mornes, mais il était bien trop abruti pour exprimer de la surprise. Il se borna à émettre ce souhait :

— Eau-de-vie.

Je comprenais qu’il n’y avait pas de temps à perdre : esquivant le gui qui balayait de nouveau le pont, je courus à l’arrière et descendis par le capot d’échelle, dans la cabine.

Il y régnait un désordre difficile à imaginer. Tout ce qui fermait à clef, on l’avait ouvert de force pour y rechercher la carte. Il y avait sur le plancher une couche de boue, aux endroits où les forbans s’étaient assis pour boire ou délibérer après avoir pataugé dans le marais avoisinant leur camp. Sur les cloisons, peintes d’un beau blanc et encadrées de moulures dorées, s’étalaient des empreintes de mains sales. Des douzaines de bouteilles vides s’entrechoquaient dans les coins, au roulis du navire. Un des livres médicaux du docteur restait ouvert sur la table : on en avait arraché la moitié des feuillets, pour allumer des pipes, je suppose. Au milieu de tout cela, la lampe jetait encore une lueur fumeuse et obscure, d’un brun de terre de Sienne.

Je passai dans le cellier : tous les tonneaux