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L’ÎLE AU TRÉSOR

L’excitation de ces dernières manœuvres avait un peu relâché la vigilance que j’exerçais jusque-là, avec assez d’attention, sur le quartier-maître. Tout absorbé dans l’attente que le navire touchât, j’en avais complètement oublié le péril suspendu sur ma tête, et demeurais penché sur le bastingage de tribord, regardant les ondulations qui s’élargissaient devant le taille-mer. Je serais tombé sans lutter pour défendre ma vie, n’eût été la soudaine inquiétude qui s’empara de moi et me fit tourner la tête. Peut-être avais-je entendu un craquement ou aperçu du coin de l’œil son ombre se mouvoir ; peut-être fut-ce un instinct analogue à celui des chats ; en tout cas, lorsque je me retournai, je vis Hands, le poignard à la main, déjà presque sur moi.

Quand nos yeux se rencontrèrent, nous poussâmes tous deux un grand cri ; mais tandis que le mien était le cri aigu de la terreur, le sien fut le beuglement de furie d’un taureau qui charge. À la même seconde il s’élança, et je fis un bond de côté vers l’avant. Dans ce geste, je lâchai la barre, qui se rabattit violemment sur bâbord ; et ce fut sans doute ce qui me sauva la vie, car elle frappa Hands en pleine poitrine et l’arrêta, pour un moment, tout étourdi.

Il n’en était pas revenu que je me trouvais en sûreté, hors du coin où il m’avait acculé, avec tout le pont devant moi. Juste au pied du grand mât, je m’arrêtai, tirai un pistolet de ma poche, et visai avec sang-froid, bien que l’ennemi eût déjà fait volte-face et revînt encore une fois sur moi. Je pressai la détente. Le chien s’abattit, mais il n’y eut ni éclair ni détonation. L’eau de mer avait gâté la poudre. Je maudis ma négligence. Pourquoi n’avoir pas depuis longtemps renouvelé l’amorce et re-