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MON AVENTURE EN MER

monter avec lenteur et maladresse. Cela lui coûta un temps infini et maint grognement, de tirer après lui sa jambe blessée ; et j’avais achevé en paix mes préparatifs, qu’il n’avait pas encore dépassé le tiers du trajet. À ce moment, un pistolet dans chaque main, je l’interpellai :

— Un pas de plus, maître Hands, et je vous fais sauter la cervelle !… Les morts ne mordent pas, vous savez bien, ajoutai-je avec un ricanement.

Il s’arrêta aussitôt. Je vis au jeu de sa physionomie qu’il essayait de réfléchir, mais l’opération était si lente et laborieuse que, dans ma sécurité recouvrée, je poussai un éclat de rire. Enfin, et non sans ravaler préalablement sa salive, il parla, le visage encore empreint d’une extrême perplexité. Il dut, pour parler, ôter le poignard de sa bouche, mais il ne fit pas d’autre mouvement.

— Jim, dit-il, je vois que nous sommes mal partis, toi et moi, et que nous devons conclure la paix. Je t’aurais eu, sans ce coup de roulis ; mais moi je n’ai pas de chance, et je vois qu’il me faut mettre les pouces, ce qui est dur, vois-tu, pour un maître marinier, à l’égard d’un blanc-bec comme toi, Jim.

Je buvais ses paroles en souriant, aussi vain qu’un coq sur un mur, quand, tout d’une haleine, il ramena sa main droite par-dessus son épaule. Quelque chose siffla en l’air comme une flèche ; je sentis un choc suivi d’une douleur aiguë, et me trouvai cloué au mât par l’épaule. Dans l’excès de ma douleur et dans la surprise du moment — je ne puis dire si ce fut de mon plein gré, et je suis en tout cas certain que je ne visai pas — mes pistolets partirent tous les deux à la fois, et tous les deux m’échappèrent des mains. Ils ne tombèrent pas seuls : avec un cri étouffé, le quartier-maître lâcha les haubans et plongea dans l’eau la tête la première.