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MON AVENTURE EN MER

souffrance physique, que j’aurais, à elle seule, supportée sans murmure, c’était la peur qui m’emplissait l’esprit, de tomber des barres de perroquet dans cette immobile eau verte.

Je me cramponnai des deux mains avec une force à m’endolorir les ongles, et fermai les yeux pour ne plus voir le danger. Insensiblement je recouvrai mes esprits, mon pouls apaisé reprit une cadence plus naturelle, et je me sentis de nouveau en possession de moi-même.

Ma première pensée fut d’arracher le poignard ; mais, soit qu’il tînt trop fort, soit que le cœur me faillît, j’y renonçai avec un violent frisson. Chose bizarre, ce frisson même opéra ma délivrance. Il s’en était fallu d’un rien, en effet, que la lame me manquât tout à fait : elle me retenait par une simple languette de peau, que ce frisson déchira. Le sang coula plus rapidement, il est vrai, mais j’étais redevenu mon maître, et ne tenais plus au mât que par ma vareuse et ma chemise.

Je les arrachai d’une secousse, puis regagnai le pont par les haubans de tribord. Pour rien au monde je ne me serais aventuré de nouveau, ému comme je l’étais, sur les haubans surplombants de bâbord, d’où Israël était tombé si récemment.

Je descendis en bas, et bandai comme je pus ma blessure. Elle me faisait beaucoup souffrir, et saignait toujours abondamment, mais elle n’était ni profonde ni dangereuse et ne gênait guère lorsque je me servais de mon bras. Puis je regardai autour de moi, et comme le navire était devenu, en quelque sorte, ma propriété, je songeai à le débarrasser de son dernier passager, le mort O’Brien.

Il avait culbuté, comme je l’ai dit, contre les bastingages, où il gisait pareil à quelque hideux pantin disloqué, de grandeur naturelle, certes, mais