Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. Varlet.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
L’ÎLE AU TRÉSOR

L’Hispaniola se balançait régulièrement, et son beaupré soulevait par intervalles une gerbe d’embruns. Toutes les voiles portaient, hautes et basses ; et comme la première partie de notre expédition tirait à sa fin, chacun manifestait la plus vaillante humeur. Le soleil venait de se coucher. J’avais terminé ma besogne, et je regagnais mon hamac, lorsque je m’avisai de manger une pomme. Je courus sur le pont. Les gens de quart étaient tous à l’avant, à guetter l’apparition de l’île. L’homme de barre surveillait le lof de la voilure et sifflait tranquillement un air. À part ce son, on n’entendait que le bruissement des flots contre le taille-mer et les flancs du navire.

J’entrai tout entier dans la barrique de pommes, qui était presque vide, et m’y accroupis dans le noir. Le bruit des vagues et le bercement du navire étaient sur le point de m’assoupir, lorsqu’un homme s’assit bruyamment tout contre. La barrique oscilla sous le choc de son dos, et je m’apprêtais à sauter dehors, quand l’homme se mit à parler. Je reconnus la voix de Silver, et il n’avait pas prononcé dix mots, que je ne me serais plus montré pour tout au monde. Je restai là, tremblant et aux écoutes, dévoré de peur et de curiosité : par ces dix mots je devenais désormais responsable de l’existence de tous les honnêtes gens du bord.