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LE MAÏTRE-COQ

centaines de liards. Alors, presque tous se mettent à boire et à se donner du bon temps, et on reprend la mer avec sa chemise sur le dos. Mais moi, ce n’est pas mon genre. Je place tout, un peu ici, un peu là, et nulle part de trop, crainte des soupçons. J’ai cinquante ans, remarque ; une fois de retour de cette croisière, je m’établis rentier pour de bon. Et ce n’est pas trop tôt, diras-tu. Oui, mais j’ai vécu à l’aise dans l’intervalle ; jamais je ne me suis rien refusé, j’ai dormi sur la plume et mangé du bon, tout le temps, sauf en mer. Et comment ai-je commencé ? À l’avant, comme toi.

— Soit, dit l’autre ; mais tout l’argent que tu avais est perdu maintenant, pas vrai ? Tu n’oseras plus te montrer dans Bristol après ce coup-ci.

— Ah bah ! où penses-tu donc qu’il est ? demanda Silver, ironique.

— À Bristol, dans les banques et ailleurs, répondit son compagnon.

— Il y était, il y était encore quand nous avons levé l’ancre. Mais ma vieille bourgeoise a le tout, à présent. La Longue-Vue est vendue, bail, clientèle et mobilier, et la brave fille est partie m’attendre. Je te dirais bien où, car j’ai confiance en toi, mais cela ferait de la jalousie parmi les copains.

— Et tu te fies à ta bourgeoise ?

— Les gentilshommes de fortune se fient généralement peu les uns aux autres, et ils ont raison, sois-en sûr. Mais j’ai ma méthode à moi. Quand un camarade me joue un pied de cochon — quelqu’un qui me connaît, je veux dire — il ne reste pas longtemps dans le même monde que le vieux John. Certains avaient peur de Pew, d’autres de Flint ; mais Flint lui-même avait peur de moi. Il avait peur, malgré son arrogance. Ah ! ce n’était pas un équipage commode, que celui de Flint ; le diable