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PRINCE ERRANT

côté du jardin les bâtiments étaient beaucoup plus anciens : ici tout était presque noir. À peine quelques fenêtres, çà et là, à différentes hauteurs, laissaient-elles voir une tranquille lumière. La grande tour carrée se dressait, s’amincissant d’étage en étage, comme un télescope : et au-dessus du tout pendait le drapeau, immobile.

Le jardin, dans la pénombre, sous le scintillement du ciel étoile, respirait le parfum des violettes d’avril. Sous la voûte de la nuit les arbustes se dressaient indistinctement. Le prince descendit à la hâte les escaliers de marbre, fuyant ses propres pensées. Mais contre la pensée il n’est, hélas ! aucune cité de refuge. À moitié chemin de sa descente les sons d’une musique lointaine vinrent, de la salle de bal, où dansait la cour, frapper son oreille. Ils étaient faibles et intermittents, mais ils touchèrent la corde de la mémoire : et à travers, au-dessus d’eux, Othon crut entendre de nouveau la mélodie échevelée de la chanson des marchands de bois. Une nuit complète tomba sur son âme. Voilà donc son retour… la femme dansait, le mari venait de jouer un tour à un laquais ; pendant ce temps, parmi leurs sujets, tous deux étaient passés en proverbe. Voilà donc l’espèce de prince, de mari, d’homme, qu’il était devenu, cet Othon !… Et il se prit à courir.

Un peu plus bas il rencontra inopinément une sentinelle ; quelques pas plus loin il fut interpellé par une autre ; et comme il passait le pont au-dessus du vivier, un officier qui faisait sa ronde l’arrêta une troisième fois. Cette parade de vigilance était inusitée, mais la curiosité était morte