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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

picule tel que moi ne peut résigner sa charge : il faut qu’il fasse un beau geste, qu’il s’avance chaussé du cothurne, et qu’il abdique.

— C’est juste, dit Gotthold. Ou bien qu’il se tienne tranquille. Quelle mouche te pique, aujourd’hui ? Ne vois-tu pas que tu touches de ta main profane aux replis les plus sacrés de la philosophie, à l’habitacle de la folie ? Oui, Othon, de la folie… car dans les temples sereins de la Sagesse, le Saint des Saints que nous tenons toujours précieusement sous clef est plein de toiles d’araignées. Tous les hommes, tous, sont essentiellement inutiles. La nature les tolère, elle n’en a pas besoin, elle ne s’en sert point : fleurs stériles ! Tous… jusqu’au rustre suant dans la fange, et que les imbéciles vous citent comme l’exception, tous sont inutiles ; tous tressent leur corde de sable, ou bien, tels qu’un enfant soufflant sur une vitre, écrivent et effacent de vains mots. Ne me parle plus de cela ! C’est là, te dis-je, que réside la folie.

Le docteur se leva de son fauteuil, mais se rassit aussitôt, et se prit à rire doucement. Puis, changeant de ton : — Oui, cher enfant, poursuivit-il, nous ne sommes pas ici pour combattre les géants ; nous sommes ici pour être heureux comme les fleurs, si faire se peut. C’est parce que tu pouvais l’être, toi, qu’en secret je t’ai toujours admiré. Tiens-t’en à cette occupation ; crois-moi, c’est la bonne. Sois heureux, paresseux, léger. Au diable tous les casuistes, et laisse les affaires d’État à Gondremark, comme par le passé ! Il s’en tire assez bien, et la situation réjouit sa vanité.

— Gotthold ! s’écria Othon, que m’importe tout