Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/114

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aux vieilles coutumes, aux vieilles mœurs, et à haïr toute innovation comme un crime méritant la mort ; l’innovation est en effet l’ennemie mortelle de l’habitude, de la tradition et de la routine. Il est hors de doute que l’habitude cuirasse l’homme contre l’importunité des choses et lui crée un monde spécial, le seul où il se sente chez lui, c’est-à-dire un ciel. Qu’est-ce qu’un « ciel », en effet, sinon la patrie propre de l’homme, où plus rien d’étranger ne le sollicite et ne le domine, où aucune influence terrestre ne le rend plus étranger à lui-même, bref, où, purifié des souillures de la terre et vainqueur dans sa lutte contre le monde, il n’est plus obligé de renoncer à rien. Le ciel est la fin du renoncement, la libre jouissance. L’homme ne s’y interdit plus rien, car rien ne lui est plus étranger ni hostile.

L’habitude est donc une seconde nature qui délie et délivre l’homme de sa nature primitive et le met à l’abri des hasards de cette nature.

Les traditions de la civilisation chinoise ont paré à toutes les éventualités ; tout est « prévu » ; quoi qu’il arrive, le Chinois sait toujours comment il doit se comporter, il n’a jamais besoin de prendre conseil des circonstances. Jamais un événement inattendu ne le précipite du ciel de son repos. Le Chinois qui a vécu dans la moralité et qui y est parfaitement acclimaté ne peut être ni surpris ni déconcerté ; en toute occasion il garde son sang-froid, c’est-à-dire le calme du cœur et de l’esprit, parce que son cœur et son esprit, grâce à la prévoyance des vieilles coutumes traditionnelles, ne peuvent en aucun cas être bouleversés ni troublés : l’improviste n’existe plus. C’est donc grâce à l’habitude que l’humanité gravit le premier échelon de l’échelle de la civilisation (ou de la culture) ; et, comme elle s’imagine qu’atteindre la civilisation sera atteindre en même temps le ciel ou royaume de la culture et de la seconde nature, elle gravit en réalité par l’habitude le premier échelon de l’échelle du ciel.