Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/134

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été intimement lié durant les premiers temps de l’Église et la hiérarchie du Moyen Âge ; et les institutions théologiques et religieuses issues de la Réforme ne sont que les conséquences logiques de cette séparation du principe religieux d’avec les autres puissances de l’humanité. » C’est précisément le contraire qui me paraît exact ; je pense que jamais la domination de l’esprit, ou — ce qui revient au même — la liberté de l’esprit, n’a été aussi étendue et aussi toute-puissante que depuis la Réforme, attendu que, loin de rompre avec l’Art, l’État et la Science, le principe religieux n’a fait que les pénétrer davantage, leur enlever ce qui leur restait de séculier, pour les amener au « royaume de l’esprit » et les rendre religieux.

On a, non sans raison, rapproché Luther de Descartes, et le « celui qui croit est un dieu » du « je pense, donc je suis » (cogito, ergo sum). Le ciel de l’homme est le penser, — l’Esprit. Tout peut lui être retranché, sauf la pensée, sauf la foi. On peut détruire une foi déterminée, comme la foi en Zeus, Astarté, Jéhovah Allah, etc., mais la foi elle-même est indestructible.


Penser, c’est être libre. Ce dont j’ai besoin, ce dont j’ai faim, je ne l’attends plus d’aucune grâce, ni de la Vierge Marie, ni de l’intercession des Saints, ni de l’Église qui lie et délie, mais je me le dispense moi-même. Bref, mon être (le sum) est une vie dans le ciel de la pensée, de l’Esprit, c’est un cogitare. Moi-même je ne suis rien d’autre qu’Esprit : — Esprit pensant, dit Descartes — Esprit croyant, dit Luther. Je ne suis pas ce qu’est mon corps ; ma chair peut être tourmentée de convoitises et de passions. Je ne suis pas ma chair, mais je suis Esprit, rien qu’Esprit.

Cette pensée traverse toute l’histoire de la Réforme jusqu’à nos jours.

Ce n’est que depuis Descartes que la philosophie moderne s’est appliquée sérieusement à tirer toutes