Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que manque-t-il à la liberté que réclame le cœur du bon bourgeois ou du fonctionnaire fidèle ?), servir, c’est être libre. Le serviteur obéissant, voilà l’homme libre ! — Et voilà une rude absurdité ! Cependant tel est le sens intime de la bourgeoisie ; son poète, Goethe, comme son philosophe, Hegel, ont célébré la dépendance du sujet vis-à-vis de l’objet, la soumission au monde objectif, etc. Celui qui s’incline devant les événements et se découvre devant le fait accompli possède la vraie liberté. Et le fait, pour quiconque fait profession de penser, c’est — la Raison, la Raison qui, comme l’État et l’Église, promulgue des lois générales et fait communier les individus dans l’idée de l’Humanité. Elle détermine ce qui est « vrai » et la règle sur laquelle on doit se guider. Pas de gens plus « raisonnables » que les loyaux serviteurs, et, avant tous, ceux qui, serviteurs de l’État, s’appellent bons citoyens et bons bourgeois.

Sois ce que tu pourras, un Crésus ou un gueux — l’État bourgeois te laisse le choix —, mais aie de « bonnes opinions » ! Ceci, l’État l’exige de toi, et il regarde comme son devoir le plus urgent de faire germer chez tous ces « bonnes opinions ». Dans ce but, il te protégera contre les « suggestions mauvaises » ; il tiendra en bride les « mal pensants », il étouffera leurs discours subversifs sous les sanctions de la censure et des lois sur la presse ou derrière les murs d’un cachot ; d’autre part, il choisira comme censeurs des gens « d’opinions sûres », et il te soumettra à l’influence moralisatrice de ceux qui sont « bien pensants et bien intentionnés ». Lorsqu’il t’aura rendu sourd aux mauvaises suggestions, il te rouvrira les oreilles toutes grandes aux bonnes.

Avec l’ère de la bourgeoisie s’ouvre celle du Libéralisme. On veut instaurer partout le « raisonnable », l’ « opportun ». La définition suivante du Libéralisme, d’ailleurs tout à son honneur, le caractérise parfaitement : « Le Libéralisme est l’application du