Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/162

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La « liberté individuelle », sur laquelle le Libéralisme issu de 89 veille avec un soin jaloux, n’implique nullement la parfaite et totale autonomie de l’individu (autonomie grâce à laquelle tous mes actes seraient exclusivement miens), mais uniquement l’indépendance vis-à-vis des personnes. Posséder la liberté individuelle, c’est n’être responsable envers aucun homme. Si l’on comprend ainsi la liberté — et on ne peut la comprendre autrement — ce n’est pas seulement le maître qui est libre, c’est-à-dire irresponsable devant les hommes (il se reconnaît responsable « devant Dieu »), mais tous sont libres, parce qu’ils « ne sont responsables que devant la Loi ». C’est le mouvement révolutionnaire du siècle qui a conquis cette forme de la liberté, l’indépendance vis-à-vis de l’arbitraire, du « tel est notre plaisir ». En conséquence, il fallait que le prince constitutionnel dépouillât toute personnalité, toute volonté individuelle pour ne point léser, comme individu, la « liberté individuelle » d’autrui. La regis voluntas n’existe plus chez le prince constitutionnel, et c’est poussés par un sentiment très juste que tous les princes absolus se défendent contre cette mutilation. Notez que ce sont justement ces derniers qui se prétendent des « princes chrétiens », dans le vrai sens du mot ; mais il faudrait, pour en être, que chacun d’eux devînt une puissance purement spirituelle, attendu que le Chrétien n’est le sujet que de l’Esprit (« Dieu est Esprit »). Cette pure puissance spirituelle, c’est le prince constitutionnel qui seul la représente ; la perte de toute signification personnelle l’a si bien spiritualisé qu’on peut avec raison ne plus voir en lui qu’un « esprit », l’ombre fantomatique et inquiétante d’une Idée. Le roi constitutionnel est le véritable roi chrétien, la stricte conséquence du principe chrétien. La monarchie constitutionnelle a été le tombeau de la domination personnelle, c’est-à-dire du Maître capable de vouloir réellement ; aussi y voyons-nous régner la liberté individuelle,