Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

absorbant qu’il fût, du moment qu’il ne détournait pas l’homme de la foi. Mais aujourd’hui que chacun a en soi une humanité à cultiver, la relégation de l’homme dans un travail de machine n’a plus qu’un nom : c’est de l’esclavage. Si l’ouvrier de fabrique doit se tuer à travailler pendant douze heures et plus par jour, qu’on ne parle plus pour lui de dignité humaine ! Toute besogne doit avoir un but qui satisfasse l’homme, et il faut pour cela que chaque ouvrier puisse devenir maître dans son art, et que l’œuvre qu’il produit soit un tout. Dans une fabrique d’épingles, par exemple, l’ouvrier qui ne fabrique que des têtes, ou qui ne fait que passer à la filière le fil de laiton, est ravalé au rang de machine, c’est un forçat et ce ne sera jamais un artiste ; son travail ne saurait l’intéresser et le satisfaire, il ne peut que l’éreinter. Son œuvre, considérée en elle-même, ne signifie rien, n’a aucun but en soi, n’est rien de définitif ; c’est le fragment d’un tout qu’un autre emploie — en exploitant le producteur.

Tout plaisir d’un esprit cultivé est interdit aux ouvriers au service d’autrui ; il ne leur reste que les plaisirs grossiers, toute culture leur est fermée. Pour être bon chrétien, il suffit de croire, et croire est possible en quelque situation qu’on se trouve ; aussi les gens à convictions chrétiennes n’ont-ils en vue que la piété des travailleurs asservis, leur patience, leur résignation, etc. Les classes opprimées purent à la rigueur supporter toute leur misère aussi longtemps qu’elles furent chrétiennes, car le Christianisme est un merveilleux étouffoir de tous les murmures et de toutes les révoltes. Mais il ne s’agit plus aujourd’hui d’étouffer les désirs, il faut les satisfaire. La Bourgeoisie, qui a proclamé l’évangile de la joie de vivre, de la jouissance matérielle, s’étonne de voir cette doctrine trouver des adhérents parmi nous, les pauvres ; elle a montré que ce qui rend heureux, ce n’est ni la foi ni la pauvreté, mais l’instruction et la richesse : et c’est