Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/222

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Lorsque tu y penses bien, ce que tu veux, ce n’est pas la liberté d’avoir toutes ces belles choses, car cette liberté ne te les donne pas encore ; ce que tu veux, ce sont ces choses elles-mêmes ; tu veux les appeler tiennes et les posséder comme ta propriété. À quoi te sert une liberté, si elle ne te donne rien ? D’ailleurs, si tu étais délivré de tout, tu n’aurais plus rien, car la liberté est, par essence, vide de tout contenu. Elle n’est qu’une vaine permission pour celui qui ne sait pas s’en servir ; et si je m’en sers, la manière dont j’en use ne dépend que de moi, de mon individualité.

Je ne trouve rien à redire à la liberté, mais je te souhaite plus que de la liberté ; tu ne devrais pas être tout bonnement quitte de ce que tu ne veux pas, tu devrais aussi avoir ce que tu veux ; il ne te suffit pas d’être « libre », tu dois être plus, tu dois être « propriétaire ». Tu veux être libre ? — Et de quoi ? De quoi ne peut-on s’affranchir ? On peut secouer le joug du servage, du pouvoir souverain, de l’aristocratie et des princes, on peut secouer la domination des appétits et des passions et jusqu’à l’empire de la volonté propre et personnelle ; l’abnégation totale, le complet renoncement ne sont que de la liberté, liberté vis-à-vis de soi-même, de son arbitre et de ses déterminations. Ce sont nos efforts vers la liberté comme vers quelque chose d’absolu, d’un prix infini, qui nous dépouillèrent de l’individualité en créant l’abnégation.

Plus je suis libre, plus la contrainte s’élève comme une tour devant mes yeux et plus je me sens impuissant. Le sauvage, dans sa simplicité, ne connaît encore rien des barrières qui enferment le civilisé : il lui semble qu’il est plus libre que ce dernier. Plus j’acquiers de liberté, plus je me crée de nouvelles limites et de nouveaux devoirs. Ai-je inventé les chemins de fer, aussitôt je me sens faible parce que je ne puis encore fendre les airs comme l’oiseau ; ai-je résolu un problème dont l’obscurité angoissait mon esprit,