Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/225

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mais ce sont mes os qui gémissent dans la torture, ce sont mes fibres qui tressaillent sous les coups, et je gémis parce que mon corps gémit. Si je soupire et si je frémis, c’est que je suis encore mien, que je suis toujours mon bien. Ma jambe n’est pas « libre » sous le bâton du maître, mais elle demeure ma jambe et ne peut m’être arrachée. Qu’il la coupe donc, et qu’il dise s’il tient encore ma jambe ? Il n’aura plus dans la main que le — cadavre de ma jambe, et ce cadavre n’est pas plus ma jambe qu’un chien mort n’est un chien : un chien a un cœur qui bat, et ce qu’on appelle un chien mort n’en a plus et n’est plus un chien.

Dire qu’un esclave peut être, malgré tout, intérieurement libre, c’est, en réalité, émettre la plus vulgaire et la plus triviale des banalités. Qui pourrait, en effet, s’aviser de soutenir qu’un homme peut n’avoir aucune liberté ? Que je sois le plus rampant des valets, ne serai-je pas cependant libre d’une infinité de choses ? De la foi en Zeus, par exemple, ou de la soif de renommée, etc. ? Et pourquoi donc un esclave fouetté ne pourrait-il être, lui aussi, « intérieurement libre » de toute pensée peu chrétienne, de toute haine pour ses ennemis, etc. ? Il est, dans ce cas, « chrétiennement libre », pur de tout ce qui n’est pas chrétien ; mais est-il absolument libre, est-il délivré de tout, de l’illusion chrétienne, de la douleur corporelle, etc. ?

Il peut sembler, au premier abord, que tout ceci s’attaque au nom plutôt qu’à la chose. Mais le nom est-il donc chose si indifférente, et n’est-ce pas toujours par un mot, un schibboleth, que les hommes ont été inspirés et — trompés ? Il existe d’ailleurs entre la Liberté et la Propriété ou l’Individualité un gouffre plus profond qu’une pure différence de mots.

Tout le monde tend vers la liberté, tous appellent son règne à grands cris. Qui n’a été bercé par toi, ô rêve enchanteur d’un « règne de la Liberté », d’une radieuse « humanité libre » ? Ainsi donc, les