Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/242

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Ne rien voir en toi et en moi de plus que l’ « Homme », C’est pousser à l’extrême la façon de voir chrétienne, d’après laquelle chacun n’est pour les autres qu’un concept (par exemple un aspirant à la félicité, etc.).

Le Christianisme proprement dit nous réunit encore dans un concept moins général : ainsi, nous sommes « les enfants de Dieu », ceux « que conduit l’Esprit de Dieu  » ; tous ne peuvent toutefois se vanter d’être les enfants de Dieu, mais « le même Esprit qui témoigne devant notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu montre aussi ceux qui sont enfants du Diable  ». Pour être enfant de Dieu, il fallait n’être pas enfant du Diable, la famille divine excluait certains hommes. Il nous suffit, au contraire, pour être enfants des hommes, c’est-à-dire hommes, d’appartenir à l’espèce humaine, d’être des exemplaires de cette espèce. Ce que je suis, moi, ne te regarde pas ; si tu es un bon libéral, tu ignores et dois ignorer mes affaires privées ; il suffit que nous soyons tous deux enfants d’une même mère, l’espèce humaine : en tant que « né de l’homme », je suis ton semblable.

Que suis-je donc pour toi ? Suis-je ce moi en chair et en os qui va et vient ? Du tout ! Ce moi avec ses pensées, ses déterminations et ses passions est à tes yeux « quelque chose de privé » qui ne te regarde pas, une « chose pour soi ». Comme « chose pour toi », il n’existe que mon concept, le concept de l’espèce à laquelle j’appartiens, l’Homme, lequel s’appelle peut-être Pierre, mais pourrait aussi bien s’appeler Jean ou Michel. Tu vois en moi non pas moi, le réel et le corporel, mais l’irréel, le fantôme — un Homme.

Au cours des siècles chrétiens, toutes sortes de gens ont tour à tour passé pour « nos semblables », mais toujours nous les avons jugés selon cet esprit que