Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

plus naturelles. Nous préférons cependant le mot « Peuple » ; d’abord, parce que son étymologie le rattache au mot grec Polloi, le nombre, la foule, ensuite et surtout parce que les « revendications populaires » sont aujourd’hui à l’ordre du jour et que les révolutionnaires les plus contemporains n’ont pas encore dépouillé leur idolâtrie pour cette illusoire personne ; cette dernière considération serait cependant plutôt faite pour nous incliner à choisir le terme « Humanité », l’ « Humanité » étant aujourd’hui ce que tout le monde rêve.

Ainsi donc, le Peuple, l’Humanité ou la Famille, ont jusqu’à présent, semble-t-il, occupé la scène de l’histoire : aucun intérêt égoïste n’était toléré dans ces sociétés ; seuls, les intérêts d’une collectivité, intérêts nationaux ou intérêts du peuple, intérêts de caste, intérêts de famille et « intérêts généraux de l’humanité » pouvaient y jouer un rôle. Mais qui donc a conduit à leur perte les peuples dont l’histoire nous conte la chute ? L’égoïste qui cherche sa propre satisfaction. Chaque fois qu’un intérêt égoïste s’y insinua, la société fut « corrompue » et marcha à sa désorganisation ; le peuple romain et le perfectionnement de son droit privé, ou le christianisme et son incessante invasion par le « libre examen », la « conscience de soi », l’« autonomie de l’esprit », etc., en sont d’illustres exemples.

Le Peuple chrétien a produit deux sociétés qui dureront ce que lui-même durera : l’État et l’Église. Peut-ou les appeler des associations d’égoïstes ? Poursuivons-nous en elles un intérêt égoïste, personnel, individuel, ou y poursuivons-nous un intérêt populaire (parce que du peuple chrétien) sous le nom d’intérêt de l’État ou d’intérêt de l’Église ? M’est-il en elles possible, m’est-il par elles permis d’être moi-même ? Puis-je penser et agir comme je veux, puis-je me manifester, m’affirmer, vivre ma vie à moi ? Ne dois-je pas laisser intactes la majesté de l’État et la sainteté de l’Église ?