Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/293

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plutôt ce peuple même en personne, et seul il pouvait être son juge. Il n’y avait point de juge au-dessus de lui : n’avait-il pas d’ailleurs prononcé sa sentence ? Il s’était, lui, jugé digne du Prytanée. Il aurait dû s’en tenir là, et, n’ayant prononcé contre lui-même aucune sentence de mort, il aurait dû mépriser celle des Athéniens et s’enfuir. Mais il se subordonna, et il accepta le Peuple pour juge : il se sentait petit devant la majesté du Peuple. S’incliner comme devant un « droit » devant la force qu’il n’aurait dû reconnaître qu’en y succombant, c’était se trahir soi-même, et c’était de la vertu. La légende attribue les mêmes scrupules au Christ, qui, dit-on, ne voulut pas se servir de sa puissance sur les légions célestes. Luther fut plus sage ; il eut raison de se faire délivrer un sauf-conduit en bonne forme avant, de se hasarder à la diète de Worms, et Socrate aurait dû savoir que les Athéniens n’étaient que ses ennemis et. que lui seul était son juge. L’illusion d’une « justice », d’une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance.

La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues. Pourquoi ? Parce que les conclusions que n’avait pas su tirer Socrate, leur maître dans l’art de penser, le commun des Grecs était bien moins capable encore de s’y élever. Qu’est-ce que la chicane, sinon l’art d’exploiter l’actuel sans le détruire ? (Je pourrais ajouter d’exploiter à « son profit », mais cela va de soi.) Parmi ces gens de chicane nous comptons les théologiens, qui « commentent et interprètent » la parole de Dieu ; à quoi accrocheraient-ils leurs gloses si la parole divine n’était pas un texte « présent » et censé immuable ? Tels sont encore les Libéraux, qui ne s’attaquent au « présent » que pour le critiquer et l’interpréter ; tous ne sont que des falsificateurs, juste comme ceux qui falsifient le droit. Socrate s’était incliné devant le droit et devant la loi, et les Grecs continuèrent