Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/304

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voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c’est ce bon ordre qu’on appelle État.

Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s’allier sans qu’il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre, indépendante ; en face de nous, les égoïstes, ils sont l’état de choses existant et indissoluble. Toutes les luttes d’aujourd’hui sont bien, comme on le dit, dirigées contre l’ordre établi et visent à renverser l’état de choses régnant. Mais leur véritable but est universellement méconnu ; il semblerait, à entendre nos réformateurs, qu’il s’agit simplement de substituer à ce qui existe actuellement un nouvel ordre meilleur. C’est bien plutôt à l’ordre lui-même, c’est-à-dire à tout État (status) quel qu’il soit, que la guerre devrait être déclarée, et non pas à tel État déterminé, à la forme actuelle de l’État. Le but à atteindre n’est pas un autre État (l’État démocratique, par exemple), mais l’alliance, l’union, l’harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et n’est qu’à condition de changer sans cesse.

Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j’y grandis, j’ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous son aile tutélaire, et je vis de sa « grâce ». Ainsi l’existence indépendante de l’État fonde ma dépendance ; sa vie comme organisme exige que je ne croisse pas en liberté mais que je sois taillé pour lui ; afin de pouvoir s’épanouir suivant sa nature, il m’applique les ciseaux de la « culture », il me donne une éducation et une instruction mesurées sur lui et non sur moi, et m’apprend, par exemple, à respecter les lois, à me garder d’attenter à la propriété de l’État (c’est-à-dire à la propriété privée), à vénérer une Altesse divine ou terrestre, etc. ; en un mot il m’enseigne à être — irréprochable, en sacrifiant mon individualité sur l’autel de la « sainteté » (saint ou sacré est tout ce qu’on peut