Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/341

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que devant Dieu nous sommes tous « de pauvres pécheurs ». D’autre part, l’État a un très grand intérêt à ce que ces mêmes individus qui font de lui leur moi partagent ses richesses : il les fait participer à sa propriété. La propriété, dont il fait un appât et une récompense pour les individus, lui sert à les apprivoiser, mais elle reste sa propriété et nul n’en a la jouissance qu’autant qu’il porte dans son cœur le moi de l’État, comme un « membre loyal de la Société » qu’il est ; sinon, la propriété est confisquée ou fond en procès ruineux.

La propriété est et reste donc la propriété de l’État, sans jamais être la propriété du Moi. Dire que l’État ne retire pas arbitrairement à l’individu ce que l’individu tient de l’État revient simplement à dire que l’État ne se vole pas lui-même. Celui qui est un « Moi d’État », c’est-à-dire un bon citoyen ou un bon sujet, jouit de son fief en toute sécurité, mais il en jouit comme moi d’État et non comme Moi propre, comme individu. C’est ce qu’exprime le code, quand il définit la propriété : ce que je nomme mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si — l’État ne s’y oppose pas.

En cas d’expropriation, de réquisition d’armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple, « l’État », est seul propriétaire ; l’individu n’est que fermier, tenancier, vassal.

Je voulais dire ceci : l’État ne peut se proposer de faire qu’un individu soit propriétaire dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l’État ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m’accorder. L’État ne peut obvier au paupérisme, parce que l’indigence est mon indigence.