Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/362

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comme si sa possession était le but de tous nos vœux.

Mais, après une course effrénée, on s’aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le bonheur ». Et l’on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal.

Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu’on dépense pour s’y élever toutes ses forces et toute son énergie ? Sans chercher plus loin, la phrase si souvent employée : « Ah ! si j’étais le ministre, si j’étais le…, ça ne se passerait pas ainsi ! » exprime déjà la conviction qu’on se sent capable de jouer le rôle d’un de ces dignes personnages ; on sent très bien qu’il n’est pas besoin pour cela d’une personnalité exceptionnelle, mais qu’il suffit d’un degré de culture accessible en somme sinon à tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire suffit.

En admettant même que, si l’ordre est essentiel à l’État, la nécessité d’une subordination hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons que ceux qui trônent au sommet de la hiérarchie jouissent de biens et de privilèges démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l’échelle sociale.

Pourtant ces derniers, inspirés d’abord par la doctrine socialiste, plus tard sans doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère teinte à leur langage) s’enhardissent à demander : Qu’est-ce donc qui fait la sécurité de votre propriété, messieurs les privilégiés ? Et ils répondent eux-mêmes : Votre propriété est sûre parce que nous nous abstenons de l’attaquer ! Donc grâce à notre protection ! Et que nous donnez-vous en récompense ?