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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/389

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Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux autres de faire d’eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des autres. Toutes relations qui reposent sur une essence sont des relations avec un fantôme et non avec une réalité. Mes rapports avec l’être suprême ne sont pas des rapports avec Moi, et mes rapports avec l’essence de l’Homme ne sont pas des rapports avec les hommes.

De l’amour, tel qu’il est naturel à l’homme de le ressentir, la civilisation a fait un commandement. Mais en tant que commandé, l’amour appartient à l’Homme comme tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l’on tient pour si « essentielle », et n’est pas ma propriété. C’est l’Homme, c’est-à-dire l’humanité, qui me l’impose : l’amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d’avoir sa source réellement en Moi, il l’a dans l’Homme en général, dont il est la propriété, l’attribut particulier : « Il sied à l’Homme, c’est-à-dire à chaque homme, d’aimer ; aimer est le devoir et la vocation de l’homme, etc. »

Il faut, par conséquent, que je revendique l’amour pour Moi, et que je le soustraie à la puissance de l’Homme.

On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à l’Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement. En aimant, je suis devenu un vassal, je suis devenu l’homme lige de l’humanité, un simple représentant de cette espèce ; lorsque j’agis non pas comme Moi, mais comme Homme, j’agis comme un exemplaire de l’espèce humaine, c’est-à-dire humainement. Notre état de civilisation tout entier est un système féodal, où la propriété appartient à l’Homme ou à l’humanité et où rien n’appartient au Moi. En dépouillant l’individu de tout pour attribuer tout à l’Homme, on a fondé une énorme féodalité.