Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/390

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L’individu n’apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ».

Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d’autrui ? Dois-je n’avoir à cœur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui procure à telle ou telle de mes jouissances personnelles ? Loin de là : je puis lui sacrifier avec joie d’innombrables jouissances, je puis m’imposer des privations sans nombre pour augmenter son plaisir, et je puis, pour lui, mettre en péril ce qui, sans lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c’est pour moi un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que, n’était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même plus commune dans la vie qu’il ne paraît, qui prouve uniquement qu’une certaine passion est plus forte chez moi que toutes les autres. Le Christianisme aussi enseigne à sacrifier toutes les autres passions à celle-là. Mais sacrifier des passions à une autre, ce n’est pas me sacrifier moi-même ; je ne sacrifie rien de ce par quoi je suis vraiment moi, je ne sacrifie pas ce qui fait à proprement parler ma valeur, mon individualité. Il se pourrait que cette fâcheuse éventualité se produisît : c’est qu’il en est de l’amour comme de toute autre passion, du moment que j’y obéis aveuglément ; si l’ambitieux que sa passion entraîne reste sourd aux avertissements qu’un instant de sang-froid éveillerait en lui, c’est qu’il a laissé cette passion prendre les proportions d’une tyrannie à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce qu’il ne sait plus se détacher d’elle et par conséquent s’en affranchir. Il est possédé.

Moi aussi, j’aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d’eux. Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que