Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/410

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un être suprême, et c’est pourquoi je puis dire qu’ils travaillent « pour l’amour de Dieu ».

Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est — l’Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour obligatoire, appartenant à l’être suprême (c’est-à-dire à Dieu, qui est l’amour même) ; bref, non pas l’amour égoïste mais l’amour religieux, un amour qui naît de l’illusion qu’ils doivent payer un tribut à l’Amour, c’est-à-dire qu’il ne leur est pas permis d’être des « égoïstes ».

Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n’a pas sa source dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n’étant ni par profession ni par « amour » les libérateurs du monde, nous voulons simplement en enlever la possession à d’autres et le faire nôtre ; il ne faut pas qu’il reste asservi à Dieu (l’Église) et à la loi (l’état), mais qu’il devienne notre propriété. Quand le monde est à nous, il n’exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a intérêt à affranchir le monde, afin qu’il devienne — ma propriété.

L’état primitif de l’homme n’est pas l’isolement ou la solitude, mais bien la société. Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère, puisque avant même de respirer nous partageons sa vie. Lorsque ensuite nous ouvrons les yeux à la lumière, c’est pour reposer encore sur le sein d’un être humain qui nous bercera sur ses genoux, qui guidera nos premiers pas et nous enchaînera à sa personne par les mille liens de son amour. La société est notre état de nature. C’est pourquoi l’union qui a d’abord été si intime se relâche peu à peu, à mesure que nous apprenons à nous connaître, et la dissolution de la société primitive devient de plus en plus manifeste. Si la mère veut, une fois encore, avoir pour elle seule l’enfant qu’elle a porté,