Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/417

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mieux : l’amour peut bien se payer, mais seulement en amour (un service en vaut un autre). Quelle misère, quelle gueuserie que de recevoir d’année en année, sans jamais rien rendre en échange, les dons que nous fait, par exemple, régulièrement le pauvre manœuvre ! Celui qui reçoit ainsi, que peut-il faire pour l’autre, en échange de ces sous dont l’accumulation forme pourtant toute sa fortune ? Le manœuvre aurait plus de jouissance si celui qu’il engraisse de ses laborieux bienfaits n’existait pas, ni ses lois et ses institutions qu’il paie par-dessus le marché. Et malgré tout, le pauvre diable aime encore son maître !

Non, la communauté comme « but » de l’histoire jusqu’à ce jour est impossible. Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons que si c’est en tant qu’Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux qu’en tant, que pensés ; ce qu’il y a d’égal en nous, c’est « nous » tels que nous nous concevons et non tels que nous sommes en réalité et en personnes. Je suis « moi » et tu es « moi », mais Je ne suis pas ce « moi » pensé ; il n’est, lui par qui nous sommes tous égaux, que ma pensée. Je suis Homme et tu es homme, mais « Homme » n’est qu’une idée, une généralité abstraite. Ni Moi ni Toi ne pouvons être exprimés, nous sommes indicibles, parce qu’il n’y a que les idées qui puissent être exprimées et se fixer par la parole.

Cessons donc d’aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans les autres que des moyens et des organes à mettre en œuvre comme notre propriété ! Dans l’arbre et dans l’animal, nous ne voyons pas nos semblables, et l’hypothèse d’après laquelle les autres seraient nos semblables prend sa source dans une hypocrisie. Personne n’est mon semblable, mais,