Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/429

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songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question, tant qu’il peut encore avoir à trembler pour elle, il ne peut consacrer toutes ses forces à se servir de la vie, c’est-à-dire à en jouir. Mais comment en jouir ? En l’usant, comme on brûle la chandelle qu’on emploie. On use de la vie et de soi-même en la consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c’est la dévorer et la détruire.

Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie bienheureuse, etc. ? Comment y parvenir ? Que doit faire l’homme et que doit-il être pour être un véritable vivant ? Quels devoirs lui impose cette vocation ? » Ces questions et d’autres pareilles indiquent que ceux qui les posent en sont encore à se chercher, à chercher leur vrai sens, le sens que leur vie doit avoir pour être vraie. « Ce que je suis n’est qu’un peu d’ombre et d’écume, ce que je serai sera mon vrai moi ! » Poursuivre ce moi, le préparer, le réaliser, telle est la lourde tâche des mortels ; ils ne meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie vie.

Ce n’est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c’est pourquoi je m’emploie et je jouis de moi. Mais tant que je crois, au contraire, avoir encore à découvrir mon vrai moi, tant que je pense devoir faire en sorte que celui qui vit en moi ne soit pas Moi, mais soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c’est-à-dire quelque fantôme tel que l’Homme, l’essence de l’Homme, etc., il m’est à jamais interdit de jouir de moi.

Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d’après l’ancienne je suis mon but, d’après la nouvelle je suis mon point de départ ; d’après l’une je me cherche, d’après l’autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes propriétés, — je jouis