Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/439

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la non-spirituelle, doit être sacrifiée ; ce qu’il y a de vrai en moi, c’est-à-dire l’Esprit, doit être tout l’homme. Cela se traduit ainsi : « L’esprit est l’essentiel chez l’homme » ou : « L’homme n’est Homme que par l’esprit. » On se précipite avidement pour saisir l’esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au moi on perd de vue le moi que l’on est.

Dans cette poursuite furieuse d’un moi qu’on n’atteint jamais, on fait fi de la règle des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste de son « moi » tel qu’il devrait être » et on « s’efforce de rendre tous les hommes éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables  ».

Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si tous les hommes étaient raisonnables, s’ils s’aimaient les uns les autres comme des frères », la vie serait un paradis ! — Eh ! mais, les hommes sont comme ils doivent être et comme ils peuvent être. Que doivent-ils être ? Ce qu’ils peuvent être et rien de plus ! Et que peuvent-ils être ? Rien de plus que ce qu’ils — peuvent, c’est-à-dire que ce qu’ils ont le pouvoir ou la force d’être. Mais cela, ils le sont réellement, attendu que ce qu’ils ne sont pas, ils ne sont pas capables de l’être : car être capable de faire ou d’être veut dire faire ou être réellement. On n’est pas capable d’être ce qu’on n’est pas, on n’est pas capable de faire ce qu’on ne fait pas. Cet homme que la cataracte aveugle pourrait-il voir ? Certainement, il suffirait qu’il fût opéré avec succès. Mais, pour le moment, il ne peut pas voir, parce qu’il ne voit pas. Possibilité et réalité sont inséparables. On ne peut pas faire ce qu’on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu’on ne peut pas faire.