Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/475

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je change brusquement ma façon d’agir ; mais ce n’est point parce que ces pensées ou ces actions ne sont pas conformes au Christianisme, ce n’est pas parce qu’elles portent atteinte aux éternels droits de l’Homme ou sont un soufflet à l’idée d’Humanité ; non, — c’est qu’elles ne sont plus conformes à Moi, c’est qu’elles ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère ou ne me plais plus à agir comme je le faisais.

De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je fais ce que je veux, l’esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l’état de matériel devant lequel je ne ressens plus la terreur du sacré. Désormais je ne frissonnerai plus d’horreur à aucune pensée, quelque téméraire ou « diabolique » qu’elle paraisse, car, pour peu qu’elle me devienne trop importune et désagréable, sa fin est en mon pouvoir ; et désormais je ne m’arrêterai plus en tremblant devant une action parce que l’esprit d’impiété, d’immoralité ou d’injustice y habite, pas plus que saint Boniface ne s’abstint par scrupule religieux d’abattre les chênes sacrés des païens. Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les pensées de l’esprit.

Aucune pensée n’est sacrée, car nulle pensée n’est une « dévotion » ; aucun sentiment n’est sacré (il n’y a point de sentiment sacré de l’amitié, de saint amour maternel, etc.), aucune foi n’est sacrée. Pensées, sentiments, croyances sont révocables et sont ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c’est Moi qui la crée.

Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de lui-même, c’est-à-dire, au sens chrétien, de son esprit, de son âme. Le propriétaire peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient son zèle, il en « regagnera