Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/121

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Et ces hommes imbus de l’esprit de sacrifice ne sont-ils pas en quelque façon intéressés, égoïstes ? Comme ils n’ont qu’une passion dominante, ils ne songent qu’à la satisfaire, mais ils y sont d’autant plus ardents, ils s’absorbent en elle. Toute leur manière d’être est égoïste ; mais c’est un égoïsme unilatéral, sans ouverture, borné ; ils sont possédés.

« Voilà de petites passions pour lesquelles, au contraire, l’homme ne doit pas se laisser asservir. L’homme doit faire des sacrifices pour une grande idée, pour une grande cause ! » Une « grande idée », une « grande cause », c’est par exemple le sain nom de Dieu pour lequel sont morts des millions d’hommes, le christianisme qui a trouvé ses martyrs tout prêts, l’Église, hors de laquelle point de salut, qui a réclamé avidement des sacrifices d’hérétiques ; la liberté et l’égalité qui eurent à leur service la guillotine.

Celui qui vit pour une idée, pour une bonne cause, une doctrine, un système, une mission supérieure ne peut laisser croître en lui-même les passions du monde, les intérêts égoïstes. Nous concevons maintenant le clerc ou encore (si l’on prend la chose dans sa réalité pédagogique) le magister ; car les idéals nous traient comme des écoliers. L’homme d’église est spécialement appelé à vivre par l’idée, à agir pour l’idée, la bonne cause. Aussi le peuple sent combien il convient peu à un ecclésiastique de montrer un orgueil mondain, de désirer bien vivre matériellement, de prendre part aux plaisirs tels que la danse et le jeu, bref d’avoir un autre intérêt que « les intérêts sacrés ». Une conséquence identique est le traitement misérable des professeurs qui ne doivent se sentir payés que par le caractère sacré de leur mission et doivent « renoncer » à toutes les autres joies.