Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/396

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il veut le béatifier. « Dieu s’est fait homme pour diviniser les hommes » (Athanase) ; on retrouve sa main partout, et rien ne se fait sans lui ; partout on retrouve ses « excellentes intentions », « ses plans et ses desseins insaisissables à l’homme ». La raison, qui est lui-même, doit aussi être poursuivie et réalisée dans le monde entier. Le souci paternel qu’il apporte à notre égard nous enlève toute indépendance. Nous ne pouvons rien faire de sage, sans que l’on dise : c’est l’œuvre de Dieu ! et nous ne pouvons nous attirer un malheur sans entendre dire : c’est Dieu qui l’a décrété. Nous n’avons rien que nous n’ayons de lui, c’est lui qui a tout « donné ». Mais il en est de l’Homme comme de Dieu. Celui-ci veut partout béatifier le monde, l’Homme veut faire son bonheur, rendre heureux tous les hommes. Par suite tout homme veut éveiller chez les autres la raison qu’il croit lui-même avoir : il faut que la raison soit en toute chose. Dieu est en lutte avec le diable et le philosophe avec la déraison et le hasard. Dieu ne laisse aucun être suivre sa propre impulsion et l’Homme ne nous permet qu’une conduite humaine.

Mais celui qui est plein d’un saint amour (religieux, moral, humain) n’aime que le fantôme, « l’homme vrai » et poursuit, sourd à la pitié, l’individu, l’homme réel, en affectant flegmatiquement à la prétention légale de procéder contre « l’inhumain ». Il trouve très louable et indispensable d’exercer de la plus âpre façon sa dureté. Car l’amour pour le fantôme ou la chose générale lui ordonne de haïr tout ce qui n’est pas fantôme, c’est-à-dire l’égoïste ou l’individu ; tel est le sens de ce fameux spectre qu’on nomme « justice ».

Celui qui est convaincu de crime n’a aucun ménagement à attendre et personne ne jette avec pitié un voile