Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/465

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celui qui boit et qui mange n’est jamais celui qui pense ; celui-ci oublie même le boire et le manger, sa subsistance, le souci de vivre — pour la pensée ; il l’oublie comme l’oublie celui qui prie. C’est pourquoi il apparaît au vigoureux fils de la nature comme un original, comme un fou en même temps que comme un Saint ; les anciens considéraient ainsi leurs déments. La libre pensée est démence, parce que c’est uniquement l’homme intérieur qui s’agite en nous, c’est lui seul qui conduit et règle tout le reste de l’homme. Le chamane[1] et le philosophe spéculatif sont les échelons inférieur et supérieur de l’échelle de l’homme intérieur, du mongol. L’un et l’autre luttent avec des fantômes, des démons, des esprits et des Dieux.

Totalement différente de cette pensée libre est la pensée propre, MA pensée qui ne me conduit pas mais est conduite, poursuivie, interrompue par moi suivant qu’il me plaît. Cette pensée propre se distingue de la pensée libre, absolument comme ma sensualité propre que je satisfais comme il me plaît est distincte de la sensualité libre, indomptée, qui me terrasse.

Feuerbach dans ses « principes de la philosophie de l’avenir » en revient toujours à l’être. Aussi, dans son opposition au système d’Hegel et à la philosophie absolue, reste-t-il en pleine abstraction ; car l’ « être » est une abstraction comme le « moi » lui-même. Seulement je ne suis pas qu’abstraction, je suis tout dans tout, conséquemment abstraction même ou rien, je suis tout et rien ; je ne suis pas seulement une simple pensée, je suis en même temps plein de pensées, un monde de pensées. Hegel condamne la chose propre, mienne, l’« opinion personnelle » (meinung). La « pensée abso-

  1. Chamane, prêtre des peuplades Samoyèdes primitives.