Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/148

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d’agir à celui des hommes. Néanmoins on peut, en général, dire de l’Ancien Testament que l’idée de Dieu n’y paraît point souffrir d’atteinte du caractère temporel que l’on y donne à son mode d’agir ; ce caractère temporel s’y montre plutôt comme une simple forme, comme une apparence inévitable produite par les bornes nécessaires qui limitent, chez l’homme, et surtout chez l’homme non éclairé par la science, le pouvoir de l’expression. Dire dans l’Ancien Testament : Dieu fit une alliance avec Noé, avec Abraham, conduisit plus tard son peuple hors de l’Égypte, lui donna des lois, l’amena dans la terre promise, lui suscita des juges, des rois, des prophètes, et le punit enfin de sa désobéissance par l’exil ; c’est toute autre chose, chacun le remarque, que de raconter de Jupiter qu’il naquit, en Crète, de Rhée, qu’il y fut caché dans une caverne aux regards de son père Saturne, qu’ensuite il enchaîna son père, délivra les Uranides, vainquit, avec leur aide, et avec la foudre qu’il tenait d’eux, les Titans rebelles, et enfin partagea le monde entre ses frères et ses enfants. La différence essentielle entre les deux tableaux, c’est que, dans le tableau païen, le dieu lui-même est un être sujet à développement, autre à la fin qu’au commencement, et qu’en lui et pour lui quelque chose se produit et s’accomplit. Au contraire, dans le tableau biblique, ce n’est que du côté du monde que quelque chose change, Dieu persiste dans son identité absolue : il est celui qui est, suivant l’expression de la Bible ; et ce qui, en lui, paraît appartenir au temps, n’est qu’un reflet superficiel projeté sur son mode d’agir par la marche des choses du monde, marche qu’il a causée et qu’il dirige. Dans la mythologie païenne, les dieux ont une histoire ; dans l’Ancien Testament, Dieu n’en a point ; son peuple seul en a une ; et si par le nom de mythologie on entend essentiellement une histoire des dieux, il est vrai que la religion hébraïque n’a pas de mythologie.