Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/166

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livre de Daniel[1] n’a pu, non plus, ignorer qu’il composait l’histoire de ce personnage sur le modèle de celle de Joseph, et qu’il arrangeait ses prédictions d’après l’événement. Il ne serait pas plus possible de croire à une illusion de ce genre dans plusieurs récits non historiques des évangiles, par exemple dans le premier chapitre du troisième évangile et dans plusieurs narrations du quatrième. Mais une fiction, même quand elle n’est pas complètement sans calcul, peut cependant encore ne comporter aucune fraude. Sans doute il n’en est pas ici tout à fait comme d’un poëme proprement dit ; le poëte ne prévoit ni ne recherche, comme font les auteurs supposés de maintes fictions bibliques, l’adoption de son poëme en tant qu’histoire. Mais il faut mettre en ligne de compte que, dans l’antiquité, surtout dans l’antiquité juive et parmi des cercles soumis à l’action religieuse, l’histoire et la fiction, la poésie et la prose, n’étaient pas séparées d’une manière aussi tranchée que parmi nous. C’est de cette façon que, parmi les Juifs et les premiers chrétiens, les écrivains les plus estimables publiaient leurs livres sous le couvert de noms réputés, sans penser commettre en cela un mensonge ou une fraude, La seule question qui puisse s’élever ici, est de savoir si de

  1. La comparaison des premiers chapitres de ce livre avec l’histoire de Joseph dans la Genèse, manifeste d’une manière instructive la tendance qu’eurent la légende et la poésie postérieures chez les Hébreux à former de nouvelles combinaisons sur le modèle des anciennes. Daniel (1, 2) est emmené captif à Babylone, comme Joseph en Égypte ; il lui faut changer son nom (v. 7), comme Joseph ; Dieu lui accorde que le prince des eunuques (v. 9) lui devienne favorable, comme à Joseph l’eunuque chef des soldats ; il s’abstient de se souiller par l’usage des mets et des boissons du roi, qu’on le presse de prendre (v. 8 et suiv.), abstinence aussi méritoire au temps d’Antiochus Épiphane que celle de Joseph vis-à-vis la femme de Putiphar ; il se fait, comme Joseph, remarquer du roi (ch. 2) par l’interprétation d’un songe que le prince avait eu et que ses devins n’avaient pu lui expliquer ; et non seulement il trouve la signification du songe, mais encore le songe même que le roi avait oublié. Ce dernier trait ne peut être considéré que comme une exagération romanesque de ce qui était attribué à Joseph. Dans l’historien Josèphe, l’histoire de Daniel a réagi d’une manière singulière sur celle de Joseph. Comme Nabuchodonosor oublie son rêve et l’interprétation donnée suivant Josèphe en même temps, de même Pharaon, encore d’après Josèphe, oublia l’interprétation qui avait accompagné le songe, (Antiq. 2, 5, 4.)