Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/260

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y avoir eu aucun intérêt à les incorporer dans les évangiles : car la composition primitive d’une généalogie de Jésus, à supposer même que, dans notre cas, il se fût agi seulement de rapporter à Jésus des arbres généalogiques déjà existants, était demandée par un puissant intérêt ; et cet intérêt était, dans l’hypothèse de la descendance corporelle de Jésus par Joseph, de donner un appui capital à la croyance en lui comme Messie. Dans l’autre hypothèse, un intérêt différent, mais plus faible, engageait à adopter les généalogies déjà faites ; car, bien qu’il n’y eût pas de filiation naturelle entre Joseph et Jésus, ces généalogies ne paraissaient pas inutiles pour rattacher Jésus à David. De la même façon, les deux histoires de la naissance, dans Matthieu et Luc, qui excluent décidément Joseph de la conception de Jésus, attachent néanmoins de l’importance à la descendance davidique de Joseph (Matth., 1, 20 ; Luc, 1, 27 ; 2, 4). De la sorte, même après que le point de vue eut été changé, on conserva ce qui pourtant n’avait de l’importance que dans la première opinion.

Ainsi l’origine de nos généalogies se trouve reportée dans un temps et dans un cercle de la primitive Église où Jésus passait encore pour un homme né naturellement. Nous sommes donc conduits aux Ébionites. L’histoire de ces premiers temps nous apprend que les Ébionites, en tant qu’ils se distinguaient encore des Nazaréens, avaient adopté cette opinion de la personne du Christ[1]. Nous devrions donc nous attendre à retrouver ces arbres généalogiques dans les anciens évangiles ébionites sur lesquels il nous reste encore des renseignements, mais nous ne serons pas peu surpris d’apprendre que justement ces évangiles étaient sans les généalogies. À la vérité, l’évangile des Ébionites ne commençant, d’après Épiphane[2], qu’après l’apparition de

  1. S. Justin. Mart., Dial. cum Tryphone, 48 ; Origenes contra Celsum, L. 5, 61 ; Euseb. H. E., 3, 27.
  2. Hæres., 30, § 14.