Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/566

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savais tout le bien qu’on y pouvait faire…

— Mon désir est toujours le même, dit tristement Gabriel, mais malheureusement…

Puis, comme s’il eût voulu échapper à une pensée chagrine et changer d’entretien, il reprit en s’adressant à Dagobert :

— Croyez-moi, soyez plus juste, ne rabaissez pas votre courage en exaltant trop le nôtre ;… votre courage est grand, bien grand, car après le combat la vue du carnage doit être terrible pour un cœur généreux… Nous, au moins, si l’on nous tue… nous ne tuons pas…

À ces mots du missionnaire, le soldat se redressa et le regarda avec surprise.

— Voilà qui est singulier ! dit-il.

— Quoi donc ? mon père.

— Ce que Gabriel me dit là, me rappelle ce que j’éprouvais à la guerre à mesure que je vieillissais…

Puis, après un moment de silence, Dagobert ajouta d’un ton grave et triste, qui ne lui était pas habituel :

— Oui, ce que dit Gabriel me rappelle… ce que j’éprouvais à la guerre… à mesure que je vieillissais… Voyez-vous, mes enfants, plus d’une fois, quand le soir d’une grande bataille j’étais en vedette… seul… la nuit… au clair de la lune, sur le terrain qui nous restait, mais qui était