Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

a grandi… grandi… et pour toujours a étouffé leur intelligence…

— Oh ! grâce !… s’écria mademoiselle de Cardoville, la tête bouleversée par la terreur, grâce !… ne me dites pas ces choses-là… Encore une fois… j’ai peur… tenez… emmenez-moi d’ici… je vous dis de m’emmener d’ici, s’écria-t-elle avec un accent déchirant, car je finirais, comme vous dites… par y devenir folle…

Puis, se débattant contre les redoutables angoisses qui venaient l’assaillir malgré elle, Adrienne reprit :

— Non ! oh ! non… ne l’espérez pas ! je ne deviendrai pas folle ; j’ai toute ma raison, moi ; est-ce que je suis aveugle pour croire ce que vous me dites là ?… Sans doute, je ne vis comme personne, je ne pense comme personne, je suis choquée de choses qui ne choquent personne ; mais qu’est-ce que cela prouve ? Que je ne ressemble pas aux autres… Ai-je mauvais cœur ? suis-je envieuse, égoïste ? Mes idées sont bizarres, je l’avoue, mon Dieu, je l’avoue ; mais enfin, M. Baleinier, vous le savez bien, vous… leur but est généreux, élevé…

Et la voix d’Adrienne devint émue, suppliante ; ses larmes coulèrent abondamment.

— De ma vie je n’ai fait une action méchante ; si j’ai eu des torts, c’est à force de générosité ; parce qu’on voudrait voir tout le monde trop