Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/311

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— Certes, je le porterais sur vous, si vous aimiez le luxe pour le luxe ; mais, non, non, un sentiment tout autre vous anime, reprit le jésuite ; ainsi, raisonnons un peu : éprouvant le besoin passionné de toutes ces jouissances, vous en sentez le prix ou le manque plus vivement que personne, n’est-il pas vrai ?

— En effet, monsieur, dit Adrienne vivement intéressée.

— Votre reconnaissance et votre intérêt sont déjà forcément acquis à ceux-là qui, pauvres, laborieux, inconnus, vous procurent ces merveilles du luxe dont vous ne pouvez vous passer ?

— Ce sentiment de gratitude est si vif chez moi, monsieur, reprit Adrienne de plus en plus ravie de se voir si bien comprise ou devinée, qu’un jour je fis inscrire sur un chef-d’œuvre d’orfèvrerie, au lieu du nom de son vendeur, le nom de son auteur, pauvre artiste jusqu’alors inconnu, et qui, depuis, a conquis sa véritable place.

— Vous le voyez, je ne me trompais pas, reprit Rodin, l’amour de ces jouissances vous rend reconnaissante pour ceux qui vous les procurent ; et ce n’est pas tout : me voilà, moi, par exemple, ni meilleur ni pire qu’un autre, mais habitué à vivre de privations dont je ne