Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/317

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dont Dieu vous comble à profusion porteront un jour des fruits excellents. Vous aurez cru vivre seulement pour le plaisir… vous aurez vécu pour le plus noble but où puisse prétendre une âme grande et belle… Aussi, peut-être… dans quelques années d’ici, nous nous rencontrerons encore ; vous, de plus en plus belle et fêtée… moi, de plus en plus vieux et obscur ; mais, il n’importe… une voix secrète vous dit maintenant, j’en suis sûr, qu’entre nous deux, si dissemblables, il existe un lien caché, une communion mystérieuse que désormais rien ne pourra détruire !

En prononçant ces derniers mots avec un accent si profondément ému qu’Adrienne en tressaillit, Rodin s’était rapproché d’elle, sans qu’elle s’en aperçût, et, pour ainsi dire, sans marcher, en traînant ses pas et en glissant sur le parquet, par une sorte de lente circonvolution de reptile ; il avait parlé avec tant d’élan, tant de chaleur, que sa face blafarde s’était légèrement colorée et que sa repoussante laideur disparaissait presque devant le pétillant éclat de ses petits yeux fauves, alors bien ouverts, ronds et fixes, qu’il attachait obstinément sur Adrienne ; celle-ci, penchée, les lèvres entr’ouvertes, la respiration oppressée, ne pouvait non plus détacher ses re-