Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/49

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fois depuis bien des années, je sentis mon cœur battre librement dans ma poitrine ! pour la première fois je me sentis maître de ma pensée, et j’osai examiner ma vie passée, ainsi que l’on regarde du haut d’une montagne au fond d’une vallée obscure… Alors d’étranges doutes s’élevèrent dans mon esprit. Je me demandai de quel droit, dans quel but on avait pendant si longtemps comprimé, anéanti, l’exercice de ma volonté, de ma liberté, de ma raison, puisque Dieu m’avait doué de liberté, de volonté, de raison ; mais je me dis… que peut-être les fins de cette œuvre grande, belle et sainte, à laquelle je devais concourir, me seraient un jour dévoilées et me récompenseraient de mon obéissance et de ma résignation.

À ce moment, Rodin rentra.

Le père d’Aigrigny l’interrogea d’un regard significatif ; le socius s’approcha et lui dit tout bas, sans que Gabriel pût l’entendre :

— Rien de grave ;… on vient seulement de m’avertir que le père du maréchal Simon est arrivé à la fabrique de M. Hardy…

Puis jetant un coup d’œil sur Gabriel, Rodin parut interroger le père d’Aigrigny, qui baissa la tête d’un air accablé. Pourtant il reprit, s’adressant à Gabriel, pendant que Rodin s’accoudait de nouveau à la cheminée :