Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/513

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Agricol, par un sentiment de convenance, ne me parlait de ses amourettes, comme il a dit… je me persuadais quelquefois qu’il n’en avait pas… qu’il m’aimait… mais que pour lui le ridicule était comme pour moi un obstacle à tout aveu. Oui, et j’ai même fait des vers sur ce sujet. Ce sont, je crois, de tous, les moins mauvais.

« Singulière position que la mienne !… Si j’aime… je suis ridicule ;… si l’on m’aime… on est plus ridicule encore.

« Comment ai-je pu assez oublier cela… pour avoir souffert… pour souffrir comme je souffre aujourd’hui ? Mais bénie soit cette souffrance puisqu’elle n’engendre pas la haine !… non… car je ne haïrai pas cette jeune fille ;… je ferai mon devoir de sœur jusqu’à la fin… j’écouterai bien mon cœur ; j’ai l’instinct de la conservation des autres ; il me guidera, il m’éclairera…

« Ma seule crainte est de fondre en larmes à la vue de cette jeune fille, de ne pouvoir vaincre mon émotion. Mais alors, mon Dieu ! quelle révélation pour Agricol, que mes pleurs ! Lui… découvrir ce fol amour qu’il m’inspire… oh ! jamais !… le jour où il le saurait serait le dernier de ma vie… Il y aurait alors pour moi quelque chose au-dessus du devoir, la volonté