Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/123

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instruit du passé, s’enfuit éperdu de douleur, car sa passion égalait la mienne. De retour à sa caserne, l’esprit bouleversé, il se trouva par hasard en présence de son colonel, le comte de Plouernel, et ne songea pas à le saluer. Le comte, irrité de ce manque de respect, jeta bas d’un coup de canne le chapeau de Maurice. Celui-ci, devenu presque fou de désespoir, leva la main sur M. de Plouernel. Ce crime d’un soldat contre son supérieur entraînait la peine de mort par les verges. Le lendemain, le jeune sergent subissait ce supplice infamant et expirait moins encore de douleur que de honte. La mort de l’homme que j’aimais avec l’exaltation d’un premier amour me jeta dans une sorte de frénésie. Souvent déjà, ainsi que le racontait la légende de notre famille, nos pères, esclaves, serfs ou vassaux, s’étaient, à travers les âges, rencontrés face à face les armes à la main avec les descendants des Plouernel. Ce souvenir redoubla ma haine contre le colonel ; dégoûtée de la vie par la perte de mon unique amour, je résolus de venger la mort de Maurice en tuant le comte de Plouernel. Je me rendis à la caserne des gardes-françaises à l’heure où je savais devoir rencontrer au quartier M. de Plouernel ; mon espoir fut trompé : ma pâleur, mon agitation, éveillèrent les soupçons de deux bas-officiers auxquels je m’adressais, ils me demandèrent le motif de l’entretien que je sollicitais de leur colonel. La brusquerie de mes réponses, mon air sinistre, égaré, augmentèrent leur défiance. Ils se jetèrent sur moi, me fouillèrent, l’on trouva dans ma poche un couteau. Je ne cachai pas mes projets de meurtre. L’on m’arrêta. Je fus conduite aux Filles repenties. Je subis dans cette prison les traitements les plus barbares, à l’instigation pressante du comte de Plouernel. Un jour, un étranger visitait la prison. Il m’interrogea. Mes réponses le frappèrent. Quelques jours après j’étais rendue à la liberté, grâce aux démarches de cet étranger, nommé Frantz, qui vint lui-même me chercher aux Filles repenties. »