Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/139

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marcher à la tête de mon régiment, afin de soutenir au besoin la cavalerie de Lambesc…

— Les gardes-françaises, commandés par un colonel tel que vous, comte, devaient écraser ces rebelles dans leur sang… Et cependant, aujourd’hui, vous abandonnez votre commandement… Ceci, pour moi, est une énigme !

— Rien pourtant de plus clair… Dites-moi, mon révérend, savez-vous quelle différence existe entre un Allemand et un Français ?

— Que voulez-vous dire ?

— Le voici. Imaginez-vous qu’un tribun de carrefour, un insolent drôle nommé Gonchon, je crois[1], ne parlant jamais de soi-même qu’à la troisième personne, vienne haranguer des soldats allemands au nom de la fraternité humaine… et autres sornettes. Le soldat allemand, ne comprenant rien à ce pathos démagogique, dégaîne à la voix de son colonel, et sabre rondement le Gonchon et la canaille !! Ainsi ont fait les dragons de Lambesc ; ainsi auraient fait, à cœur-joie, les cavaliers de Berching, d’Esterhazy, de Roëmer, ou les régiments de Diesbach, de Salis ou de Royal-Suisse… parce que, entendant à peine le français, le soldat allemand reste sourd à toute provocation.

— Ah ! cher comte… rappelez-vous mes paroles… Que vous disais-je au commencement de cette année ? Du train dont vont les choses… la monarchie ne peut être sûrement défendue que par des troupes étrangères impitoyables pour le populaire…

— Je partageais votre avis, l’expérience a prouvé que nous pensions sagement, l’abbé ; car, à peine Lambesc et ses cavaliers ont-ils eu sabré la canaille rassemblée dans le jardin des Tuileries, qu’épouvantée de voir des femmes, des enfants, parmi ses morts et ses mourants, car les dragons de Lambesc avaient chargé à fond… ladite canaille reflue sur la place Louis XV. Je m’y trouvais à la tête de

  1. Nous devons prévenir le lecteur que tous les noms propres et faits de ce récit (en dehors de notre fable) sont historiques.