Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/214

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moins l’apaisement des ressentiments soulevés en moi par cet exécrable assassinat… Et voilà de quels crimes sont fauteurs ou complices, les prétendus vainqueurs de la Bastille !… Ils ont, en donnant le signal de l’insurrection, lancé la populace dans tous les effrayants hasards de la révolte armée contre les lois, contre le pouvoir… et voilà pourquoi ce Jean Lebrenn, que je croyais jusqu’ici un honnête homme, n’est plus à mes yeux qu’un brigand et m’inspire une invincible horreur…

— Non, mon père… non… croyez-moi… cette horreur ne sera pas invincible, parce qu’elle est imméritée ! — dit Charlotte d’une voix ferme et résolue. — La réflexion, l’équité, triompheront d’un premier mouvement dont vous regretterez l’injustice !

L’avocat, surpris des paroles et de l’accent résolu de sa fille, interrogea sa femme du regard, semblant lui demander la cause de l’étrange appui prêté par Charlotte à Jean Lebrenn.

— Ma fille… pas un mot de plus à ce sujet ! — dit vivement madame Desmarais, faisant à Charlotte un signe d’intelligence. — Vous comprenez ma pensée… pas un mot de plus…

— Excusez-moi, ma mère, je dois parler… la dissimulation m’est impossible… Il y aurait de ma part lâcheté à me taire…

— Ma chère amie, — dit l’avocat de plus en plus étonné, — que signifient les paroles de notre fille ?

— Je vais, mon père, m’expliquer clairement.

— Charlotte, prenez garde ! — s’écrie madame Desmarais, — craignez le juste courroux de votre père…

— Comment ! — reprend M. Desmarais interdit, jetant tour à tour les yeux sur sa femme et sur sa fille, — quelle serait donc la cause de ma colère contre Charlotte ?

— Vous êtes trop équitable, mon père, pour vous courroucer contre moi sans motif légitime… Aussi je n’ai pas à craindre de vous irriter.

— Explique-toi, de grâce…