Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/220

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— L’imbécile ! — s’écrie l’avocat frappant du pied avec colère ; — qu’avait-il besoin de parler ? De quoi se mêle-t-il ?

— Dame !… il n’a pas cru mal faire ce pauvre Germain, voyant combien ces bonnes gens aimaient, admiraient monsieur. Il n’a pas résisté au plaisir de leur apprendre que monsieur était ici… Maintenant, ils sont arrêtés devant la maison, et ils demandent que monsieur paraisse au balcon pour leur dire quelques mots…

— Mort de ma vie ! c’en est trop ! — reprend l’avocat au moment où ces cris retentissent au dehors : — Vive le citoyen Desmarais ! — Vive l’ami du peuple ! — Qu’il paraisse ! — Qu’il paraisse… Vive la nation ! ! !

— Mon ami, il n’y a pas à hésiter… il y aurait pour toi le plus grand danger à refuser de paraître et d’adresser quelques mots à ces forcenés… C’est désolant, mais il faut faire contre fortune bon cœur, — dit madame Desmarais alarmée ; puis, s’adressant à Gertrude : — Vite, vite, ouvrez la fenêtre du balcon.

La servante s’empresse d’exécuter cet ordre, et tel est le spectacle que présente en cet endroit la rue Saint-Honoré. Aussi loin que le regard peut s’étendre, cette rue est encombrée de foule ; les habitants des maisons voisines, attirés par le bruit, occupent toutes les fenêtres ; la colonne des vainqueurs de la Bastille stationne en face et aux abords de la demeure de l’avocat Desmarais ; cette colonne se compose en majorité d’hommes du peuple, vêtus de leurs habits de travail ; les uns portent des fusils, des piques, des sabres ; beaucoup d’entre eux sont seulement armés des outils de leur profession : les forgerons, de leurs pesants marteaux de forge ; les charpentiers, de leur cognée ; ceux qui, pendant la bataille, se sont servis du fusil ou du pistolet, ont encore les mains et les lèvres noircies par la poudre des cartouches ; un grand nombre, dont les blessures sont légères, n’ont pas abandonné la colonne ; çà et là des gardes françaises, l’uniforme débraillé par le combat et ayant à leur tête l’intrépide Élie, ancien officier au régiment de la Reine, marchent