Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/222

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trouvent deux canons d’artillerie légère pris dans les cours de la forteresse et jusqu’alors traînés par de robustes artisans ; sur le caisson de l’un de ces canons, debout, appuyée fièrement sur la hampe d’une pique à banderole tricolore, se tient une femme de haute stature ; un mouchoir rouge ceint à demi sa noire et épaisse chevelure dont les longues tresses, en partie dénouées, flottent sur ses épaules… une robe d’indienne de couleur sombre laisse nus ses bras robustes. Elle tient sa pique d’une main, et de l’autre une chaîne de fer brisée. Cette femme du peuple, d’une mâle beauté, semble être le génie de la liberté… c’est Victoria Lebrenn !

Derrière les canons, stationne une charrette attelée d’un cheval, ornée de branchages et entourée d’hommes portant, au bout de longues perches ou de piques, de lourdes chaînes rouillées, des carcans de force, des baillons, des brodequins de fer, des corselets de fer, des tenailles, et autres horribles instruments de torture d’une forme étrange, découverts, dans les souterrains de la Bastille ; ce sont encore des registres d’écrou que des gens du peuple portent transpercés au bout de leur baïonnette : effroyables, et pour ainsi, dire vivants, symboles de ce royal et despotique arbitraire, auquel la prise de la Bastille vient de porter un coup mortel ! Dans la charrette se tiennent trois des captifs délivrés par la victoire populaire. Leur maigreur cadavéreuse, leur chevelure, leur barbe, d’une longueur démesurée, donnent à leurs traits un aspect lamentable. L’un d’eux est le premier dénonciateur du Pacte de famine, l’avocat Leprévôt de Beaumont, emprisonné depuis quinze ans. Un autre, brisé par les souffrances d’une longue captivité, a l’esprit presque égaré. Il semble avoir à peine conscience de ce qui se passe autour de lui ; seulement, par un mouvement instinctif, il lève de temps à autre vers le ciel ses mains et sa figure vénérable baignée de larmes ; c’est le comte de Solage, emprisonné par lettre de cachet sous le règne de Louis XV. Enfin, le dernier des trois prisonniers semble centenaire, tant il est cassé, voûté, perclus ; ses cheveux sont blancs comme sa longue