Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/84

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À ce signal, le Juif ne manifesta nulle surprise ; il sortit de la chambre, traversa le passage complètement obscur, s’approcha du guichet de la porte bâtarde, et le dialogue suivant s’établit à demi-voix entre Samuel et la personne qui venait de heurter.

Qui frappe ici ?

Un aveugle.

Que vient-il chercher ?

La lumière.

Quelle heure est-il ?

L’heure de l’obscurité parmi les hommes.

Samuel, ensuite de cette dernière réponse, entrouvre la porte de la rue. Deux personnages enveloppés de manteaux traversent rapidement le couloir et disparaissent dans le jardin. Le Juif revient auprès de sa femme aussi peu étonnée que lui de la mystérieuse introduction des deux nouveaux venus.

— Veuille donc, chère femme, écrire sous ma dictée la note suivante, destinée à notre cousin Lévy, — reprend Samuel en s’asseyant auprès de Bethsabée. Celle-ci répond en prenant la plume :

— Dicte, mon ami, je suis prête…

« En l’année 1660, — reprend Samuel dictant, — M. Marius Rennepont, riche capitaine armateur protestant se trouvait à Lisbonne. Il avait amené de France, à bord de son navire, M. le duc San-Borromeo, l’un des plus grands seigneurs de Portugal ; le jour même de son arrivée à Lisbonne, M. Rennepont, logé dans une hôtellerie située sur la place Mayor, vit les préparatifs d’un auto-da-fé. Il s’enquit et apprit que le lendemain un Juif devait être brûlé pour cause de religion. M. Rennepont, homme humain et généreux, d’autant plus compatissant au sort des hérétiques que déjà en France ses coreligionnaires protestants commençaient d’être persécutés malgré l’édit de Nantes, M. Marius Rennepont se résolut d’arracher ce Juif au supplice, comptant sur l’appui du duc San-Borromeo.