Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/101

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en présence de Billaud-Varenne ; la jeune fille, élevée dans l’affection et le respect filial, souffrait cruellement de se voir dans la nécessité de mésestimer son père, et sentait son cœur se détacher complètement de lui ; enfin, elle ne pouvait oublier que, la veille, son père, effrayant de rage, avait failli étrangler sa femme en apprenant d’elle ses paroles imprudentes adressées au commissaire de la section ; or, le dernier entretien de l’avocat et de madame Desmarais ne prouve que trop à quelle férocité réfléchie pouvait se livrer ce misérable, sans cesse en proie à de lâches terreurs.

Madame Desmarais poursuit ainsi, après avoir essuyé ses larmes :

— J’ai maintenant, mon enfant, une trop funeste expérience du caractère de ton père pour douter de la sincérité de ses menacesv : il deviendrait au besoin, ainsi qu’il l’a dit, un tigre, dût-il me déchirer la première, s’il croyait ainsi assurer son salut ; il va tout tenter, afin de faire arrêter mon frère, et cette arrestation, c’est la mort ! la mort ! — murmura madame Desmarais en fondant de nouveau en larmes. — Mon Dieu ! et pendant vingt ans mon mari a été le meilleur ami de mon frère, qui vivait journellement à notre foyer. Ah ! la conduite de ton père est horrible ; sa présence maintenant m’est odieuse, et, je te le dis : il me serait impossible de demeurer près de lui ; il faudra donc nous séparer, mon enfant, ma pauvre enfant.

— Nous séparer ! — s’écrie Charlotte, embrassant avec effusion madame Desmarais et mêlant ses larmes aux siennes, — nous séparer, grand Dieu ! et où veux-tu donc aller ?

— Je retournerai à Lyon, près de ma cousine, j’y suis résolue, puisque, hélas ! je ne puis plus rien ici pour le salut de mon frère.

— Espérons, mère, espérons, — dit soudain Charlotte à travers ses larmes. — Oui, j’y songe : il est peut-être un moyen de ne pas nous séparer, bonne mère, et de sauver mon oncle.

— Que dis-tu ? et comment ?

— Ah ! mère, le bonheur, et surtout le désir de voir partager ce bonheur par ceux que nous aimons nous rend inventifs ; — répond