Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/161

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— Expliquez-vous, de grâce, plus clairement.

— D’abord, je veux continuer mon métier de serrurier…

— C’est admirable, mon cher élève, — s’écria l’avocat simulant l’attendrissement et l’enthousiasme. — Loin de rougir de votre laborieuse condition… loin de voir dans les avantages que vous offre votre mariage avec ma fille… l’occasion de renoncer à vos travaux, et de vivre dans l’oisiveté… vous restez artisan… C’est, je le répète, tout bonnement admirable ! tout uniment… sublime !!

— Vous exagérez de beaucoup ma conduite fort simple, citoyen Desmarais.

— Ce cher Jean est et sera toujours le même !… la plus adorable modestie jointe au plus noble caractère, — dit l’avocat en s’adressant à sa femme et à sa fille. — Ah ! combien je vais être heureux et fier de pouvoir dire chaque jour à mes amis de la montagne, à Marat, à Robespierre, à Legendre, à Couthon : « Hé bien ! n’ai-je pas eu raison, cent fois raison, de céder à mes sentiments égalitaires, et, au lieu de marier ma fille à un misérable bourgeois, souvent pire qu’un ci-devant, d’avoir absolument voulu donner Charlotte à un enfant du peuple, à un honnête artisan, afin de prouver une fois de plus mon profond mépris, mon invincible aversion pour ces infâmes et absurdes distinctions sociales auxquelles tant de faux patriotes restent encore secrètement attachés ? Vous le voyez, chers collègues, mon digne élève, devenu mon gendre, forge toujours le fer, et après sa rude journée de travail, il revient, son tablier de cuir aux reins, s’asseoir à notre foyer républicain. Après quoi, mon gendre et moi, nous allons, bras dessus bras dessous, aux Jacobins, aux Cordeliers, proposer des motions patriotiques contre les tièdes, contre les modérés, les plus perfides, les plus dangereux ennemis de la révolution… » Oui, voilà ce que je pourrai dire à mes collègues avec une légitime fierté ! Ah ! mon cher Jean ! mon digne élève ! c’est surtout en ce moment, où vous me faites connaître votre admirable résolution de rester