Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à ma femme, que je vais à l’atelier. Je reviendrai souper à dix heures, selon l’habitude, — dit Jean Lebrenn en quittant le salon.

_____

La fabrique d’armes de guerre établie par Jean Lebrenn dans son atelier de serrurerie occupait alors une vingtaine d’ouvriers de tout âge ; et tous, apprentis, vieillards, jeunes hommes, rivalisaient d’ardeur civique dans l’accomplissement de leur tâche… Ils sentaient que ce n’était pas là un labeur ordinaire. Ils avaient conscience de servir puissamment la république, en confectionnant avec autant de zèle que de soin les armes destinées aux patriotes qui chaque jour se rendaient aux frontières envahies ; aussi, avec quelle ardeur ces artisans forgent, martèlent ou liment le fer, ici à la clarté d’une lampe fumeuse accrochée aux murailles, ailleurs à la lueur resplendissante de la fournaise des forges jetant leurs rouges reflets sur les rudes figures de ces travailleurs. Le retentissement cadencé des marteaux frappant l’enclume sert souvent d’accompagnement aux chants populaires de ce temps-ci, répétés en chœur par ces voix mâles et sonores. C’est tantôt la Marseillaise, tantôt la Carmagnole ou le fameux Ça ira, dont le rythme bref et précipité semble battre la mesure du pas de charge.

Les artisans de l’atelier interrompent soudain leurs travaux et leurs chants à l’aspect de Jean Lebrenn. Castillon les a prévenus quelques instants auparavant que l’ami Jean, ainsi qu’ils l’appelaient cordialement, les viendrait renseigner au sujet des événements du lendemain, afin de suppléer ainsi aux informations dont ils étaient privés depuis quelque temps, un travail urgent les ayant empêchés de se rendre le soir au club ou aux réunions des sections.

— Citoyens, — dit Castillon à la vue de Jean Lebrenn, — je fais une motion !

— Voyons la motion !… Écoutons ! écoutons !

— Afin de perdre le moins de temps possible, et de pouvoir écouter