Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/264

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de vos grands cheveux noirs caressait ma joue !… L’on m’aurait, en ce moment-là, voyez-vous, haché en morceaux plutôt que de me forcer de vous regarder… j’aurais voulu être à cent pieds sous terre, tant j’avais de honte, tant je souffrais… et cependant j’aurais échangé toutes mes joies passées pour cette souffrance-là… Heureusement votre frère, mon bon et digne patron, est entré… je me suis sauvé dans le jardin, emportant dans mon cœur ce qui devait être pour toujours mon bonheur et mon tourment…

» Depuis lors, la nuit, je n’ai plus dormi… et, le jour, en travaillant à l’atelier, je ne savais pas ce que je faisais… je m’affaiblissais de jour en jour, j’avais à peine la force de marcher… Je ne prenais plus intérêt à rien, pas même à ces beaux récits de batailles qu’auparavant je dévorais avec tant de battements de cœur, car je croyais assister à ces combats, je voyais le champ de bataille, je devinais les manœuvres… enfin, il me semblait que j’étais au milieu du feu !! Oh ! les beaux rêves ! j’étais d’abord soldat, puis capitaine… je mourais à la guerre en criant : Vive la république ! et l’on disait de moi : Il a bien mérité de la patrie

» Ah ! c’était une belle mort, celle-là !!…

» Je viens encore de pleurer… Pardon, mademoiselle Victoria, pardon de ma faiblesse… j’ai bien réfléchi, allez… avant de me décider au parti que je prends.

» Vous ne m’aimerez, vous ne pourrez jamais m’aimer d’amour… non parce que vous êtes fière, mais parce que je ne suis pas digne de vous… et puis je suis trop jeune… je suis un enfant, ainsi que vous me l’avez cent fois répété.

» Que pouvais-je faire ? m’éloigner ?… je n’en avais pas le courage. Rester près de vous ? c’était m’exposer à souffrir sans le moindre espoir tout ce que j’ai souffert jusqu’à présent… Ainsi, malheureux si je partais, malheureux si je restais, je voyais toujours devant moi un abîme de douleurs.

» Il y a trois jours, j’avais été tout à coup illuminé par une idée